La résilience des groupes locaux : le vecteur indispensable du succès d’OpenStreetMap

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Depuis plusieurs années, je suis intimement convaincu que le succès d’OpenStreetMap sur le long terme est intrinsèquement lié à la résilience des groupes locaux de contributeurs, à leur vitalité et à leur indépendance.

La structure des différentes communautés locales est très hétérogène.

En France, nous sommes une communauté hyper active, organisée autour de l’association OpenStreetMap France qui est reconnue officiellement comme chapter par la fondation.

Collectivement, nous avons déjà réalisé des prouesses : BANO (Base Adresses Nationale Ouverte), Umap, Osmose, OSM data, Ça reste ouvert, Projet du mois… Nous disposons d’un serveur de tuiles avec un rendu français, d’un (tout nouveau !) géocodeur maison, nous sommes relativement influents sur la politique open data du pays qui, malgré tout, progresse dans la bonne direction, notamment grâce à des institutions gouvernementales comme data.gouv.fr.

Or, cette organisation collective est loin d’être évidente dans tous les pays.

Ces pays envahis par les touristes de Maps.Me

L’appli Maps.Me est massivement utilisée par les backpackers. La possibilité de télécharger toutes les données d’un pays sur son smartphone est très appréciée par ces voyageurs. Personnellement, elle me permet de traduire en français et en anglais les lieux où je me rends.

Néanmoins lors d’un voyage au Myanmar, j’ai véritablement réalisé l’ampleur de l’influence de Maps.Me sur OSM.

En particulier :

  1. Les lieux touristiques sont tous très précisément cartographiés, mais certains villages loin de tout n’apparaissent même pas sur la carte.
  2. L’alphabet birman est minoritairement utilisé dans le tag name. Le tagging local accepté de facto est celui de la romanisation des noms, étant entendu qu’un tag spécifique name:my permet d’utiliser l’alphabet local. Cet état de fait troublant me paraît notamment lié à la configuration par défaut dans Maps.Me.
  3. De nombreux lieux existent en double dans OSM. En particulier les stations-essence (par exemple celle-ci) sont régulièrement dupliquées à quelques mètres de distance, sans aucune réalité sur le terrain. Cette dégradation de la donnée, que j’ai constatée de nombreuses fois, vient directement d’une limitation de Maps.Me dont l’affichage des POIs reste aléatoire, même au niveau de zoom le plus précis. Certains contributeurs créent donc malencontreusement des lieux qui existent déjà. L’interface de l’appli influe donc directement sur la mauvaise qualité des données.
  4. De nombreux noms de lieux indiquent des informations uniquement utiles aux touristes. Par exemple cette pagode a pour nom « beautiful sunset ». Dans la magnifique vallée de Bagan, c’est une pratique répandue d’indiquer dans le name des informations pratiques de visite de ce type. S’il est vrai qu’en tant que touriste, ces informations m’ont été très utiles, elles n’ont absolument rien à faire dans OSM. L’équipe de développement de Maps.Me devrait prendre la situation plus au sérieux et permettre d’ajouter des méta-données touristiques dans leur propre base de données et non pas dans OSM.

Au-delà de ces aspects liés à l’outil de contribution, le problème principal est bien évidemment qu’il n’existe pas de communauté locale organisée prête à prendre soin des données du pays.

En y regardant de plus près, on constate que les cinq contributeurs les plus actifs dans le pays n’y résident pas. Par ailleurs, les outils de communication classiques (page wiki, mailing-list, …) sont très peu utilisés.

Exemple frappant : j’ai dû créer moi-même le tag et la page wiki sport=chinlon pour indiquer les terrains de chinlon. Or, c’est le sport le plus pratiqué du pays !

Jeunes Birmans pratiquant le Chinlon

À ma connaissance, il n’existe actuellement aucun outil de contribution ni de rendu cartographique prenant en compte ce sport.

« La grande richesse d’OpenStreetMap réside non pas dans ses données mais dans sa communauté. »

Il me semble que cette situation mérite que l’on s’y penche. Cela passe autant par l’amélioration des outils que par des efforts conjoints pour faire émerger une véritable communauté locale active en mesure d’enrichir elle-même OSM de ses spécificités locales.

Néanmoins, dans un pays aussi démuni de contributeurs locaux, la cartographie à distance, aiguillée notamment par l’intelligence artificielle, est devenue incontournable pour obtenir des résultats à grande échelle.

Risques et opportunités de l’IA

Guidés en partie par leur volonté de contrer l’omniprésent Google Maps, des entreprises comme Apple, Microsoft, Facebook et d’autres grands acteurs du numérique investissent massivement OpenStreetMap depuis plusieurs années. Leur approche, toute Californienne, est tout d’abord centrée sur la résolution de problèmes techniques complexes.

Pour Facebook, c’est le projet Map with IA permet la détection automatique des routes grâce à des techniques de deep learning appliquées à des photographies aériennes. Après une première phase d’intégration totalement automatisée assez controversée en Thaïlande, Facebook a réalisé l’importance de la validation humaine et a développé l’outil RapiD.

Le résultat est la hauteur des espérances et la combinaison entre la puissance de la détection automatique et le contrôle manuel humain à posteriori permet d’obtenir des résultats assez satisfaisants.

Microsoft a également son projet de machine learning, assez proprement nommé « assisted intelligence » afin de détecter le contour des bâtiments et de les intégrer dans OSM. La présentation combinée de Microsoft et de HOT (Humanitarian OpenStreetMap Team) durant le Sotm 2019 présente en détail ce projet passionnant.

Les algorithmes détectent les bâtiments à partir de vues aériennes avec une précision assez bluffante

De nombreux autres projets similaires existent par ailleurs et on peut constater qu’une plus grande automatisation des tâches permise par la technologie porte d’ores et déjà ses fruits.

L’amélioration d’outils déjà existants renforce également les résultats obtenus. C’est le cas par exemple du Tasking Manager de HOT pour lequel la tendance de contribution à distance est clairement à la hausse sur le long terme (voir la présentation de l’université d’Heidelberg au SotM 2020 sur le sujet).

Néanmoins, la cartographie à distance ne remplacera jamais complètement le travail au plus près du terrain réalisé par les communautés locales. Il me semble donc que nous avons encore du travail pour pérenniser voire faire émerger des communautés dans de nombreux pays.

La formule magique pour pérenniser une communauté locale

La méthode idéale pour faire émerger une communauté locale pérenne n’existe pas, et il faut sans cesse jongler entre les différents besoins locaux.

Lorsque l’on mène un projet OSM hors des pays de l’OCDE, les besoins primordiaux à couvrir sont de plusieurs types : les commodités, le matériel, le logiciel, la formation et le support.

  1. Les commodités et le matériel sont nécessaires à la réalisation concrète du projet : disposer d’un ordinateur, d’un smartphone, d’une connexion Internet, d’un local pour se rassembler, d’un ticket de bus pour aller faire les relevés terrain…
    Le micro-financement (microgrant) proposé par certains chapters (par exemple au Royaume-Uni) mais aussi via HOT (Microgrant and Device grants) sont efficaces pour régler ces problèmes.
  2. Le cas du logiciel est plus délicat. Pour créer des données dans OSM, on a l’embarras du choix : JOSM et iD sur ordinateur, Maps.Me, Vespucci ou encore Street Complete sur mobile, pour ne citer que les plus connus. Néanmoins, dans de nombreux cas, il reste nécessaire de créer les outils soi-même, ce qui demande un investissement conséquent.
    Me concernant, j’ai par exemple participé à la création de l’appli Jungle Bus (open source et disponible gratuitement sur le Play Store) qui est spécialisée dans l’édition des arrêts de bus, le site et les applis mobiles Ça reste ouvert pour permettre à la communauté d’indiquer les lieux restant ouverts durant la crise sanitaire liée au Covid-19, ou encore le (tout nouveau) site Projet du mois pour mobiliser la communauté autour de sujets précis durant un temps limité.
  3. La formation et le support sont très dépendants des compétences des locaux et devraient toujours être pensés à la carte.
    À n’en pas douter, la compétence humaine est primordiale. En effet, au-delà de la réalisation de projets à court terme, les motivations profondes des contributeurs sont les vecteurs primordiaux d’implication sur le long terme.
    Pour chaque contributeur, il faut se poser la question « OSM est-il un simple side-project ou bien le pilier de sa carrière ? ». Les variantes de réponses entre ces deux extrêmes sont nombreuses et sont intimement liées à l’évolution personnelle de chacun. Se poser cette question me paraît être un point clef afin de structurer au mieux une communauté locale sur le long terme.

Quel problème essaye-t-on de résoudre ?

Au-delà des questions liées à la réalisation du projet (les commodités, le matériel, le logiciel, la formation et le support), la question qu’il faudrait toujours se poser est : « Quel problème essaye-t-on de résoudre ? ».

Si la réponse est « créer des données pour aider untel à faire ceci », alors il faut creuser plus loin. Les données ne sont jamais qu’un support pour résoudre des problèmes plus fondamentaux. OpenStreetMap étant un projet centré sur la donnée, il est courant que cette question fondamentale soit sous-estimée dans la communauté.

Il n’est pas aisé d’identifier précisément les véritables problèmes à résoudre dans le Monde. En voici quelques exemples choisis.

Pour l’association Openstreetmap Maroc, disposer d’une carte incluant le Sahara occidental comme partie intégrante du territoire marocain était un prérequis indispensable pour impliquer toute autorité locale. L’affichage de ce territoire contesté n’est pas conforme à la position marocaine sur OpenStreetMap.org. C’est pourquoi l’association OSM Maroc, avec le soutien de l’association OSM France, a mis en œuvre un serveur de tuile destiné au Maroc sur son site web.

Au contraire pour Nathalie Sidibe qui a lancé la communauté OSM au Mali, « les données ouvertes permettent de lutter efficacement contre le terrorisme et aux humanitaires d’intervenir dans de meilleures conditions » (source).

Avec ces deux exemples, on constate donc que des besoins très précis dépendent étroitement du contexte local et varient fortement d’un pays à l’autre.

Dans beaucoup de régions, le besoin principal porte sur des sujets extrêmement différents. On peut citer la prévention des risques (inondations, tremblements de Terre, … voir à ce sujet l’excellent travail de l’association Française HAND (Hackers Against Natural Disasters)), la création d’une base d’adresses, d’un cadastre agricole ou encore d’un plan de transport en commun. Mon entreprise, Jungle Bus, s’est fait une spécialité de ce dernier besoin en particulier.

Contributeurs OSM menant des projets liés au transport en Afrique. SotM-Africa, Abidjan, 2019

60% des villes dans le Monde n’ont pas de plan de transport

Jungle Bus apporte depuis quelques années sa pierre à l’édifice.

Dans tous nos projets, nous fournissons systématiquement des apports nécessaires (les commodités, le matériel, le logiciel, la formation et le support) mais prenons également en compte l’impact sur le développement de la communauté locale.

Nous réalisons ainsi toujours un transfert de compétence en formant les membres de la communauté locale mais aussi en renforçant les relations directes avec les acteurs locaux pertinents.

Par exemple, durant la cartographie du réseau de transport d’Abidjan en Côte d’Ivoire (voir le résultat dans OpenStreetMap), nous avons organisé des formations au ministère des transports en coopération avec l’association OpenStreetMap Côte d’Ivoire.

Nous avons également fait en sorte que les membres de la communauté disposent pendant plusieurs mois d’un bureau à côté des géomaticiens, directement dans les locaux du ministère.

Formation conjointe Jungle Bus – OSM Côte d’Ivoire training au ministère des transports de Côte d’Ivoire, 2020

Au-delà de la formule magique

Le problème que nous cherchons à résoudre, au-delà de « produire des données de qualité pour l’information voyageurs », est celui d’impliquer les acteurs locaux dans la maintenance des données, de les pousser à investir dans OpenStreetMap sur le long terme, même après la fin de notre contrat. Ceci est possible en créant une communauté open data locale liée au transport qui ne soit pas uniquement centrée sur OpenStreetMap.

La réponse de Jungle Bus va donc au delà de l’application bête et méchante d’une « formule magique » qui répondrait aux besoins de la communauté locale (en fournissant les commodités, le matériel, le logiciel, la formation et le support) et propose des solutions spécifiques à un large panel d’acteurs locaux.

Vers des communautés locales résilientes

Pour toutes ces raisons, il me semble que le salut d’OSM dans les pays où la communauté n’est pas structurée viendra de la résilience des groupes locaux de contributeurs, de leur vitalité et de leur indépendance.

Cela ne pourra venir que de l’action combinée des acteurs qui investissent dans OSM tout en se penchant sérieusement sur la résolution de problèmes exogènes à l’univers d’OSM (comme par exemple Jungle Bus pour le transport) et de ceux qui investissent dans le développement à long terme des communautés locales (comme par exemple Les Libres Géographes ou encore le programme Open Cities Africa).

Et vous, que pensez-vous qu’il manque pour que l’on parvienne à construire ensemble une communauté OSM vraiment mondiale et décentralisée ?

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  1. 1
    Alexandre

    Merci pour cet excellent article. En effet, la variété des données OSM est le reflet de la diversité de sa communauté.
    La communauté est à la fois l’origine, le moyen d’action et l’avenir du projet Openstreetmap.

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